Le juge béninois Angelo Houssou, auteur
de l'ordonnance de non-lieu dans les affaires de tentative d'empoisonnement et
de coup d'état visant le président béninois Yayi Boni, s'exprime pour la
première fois depuis samedi. Dans une interview exclusive à Afrika 7, il révèle
que son titre de voyage a été confisqué et dit craindre pour sa vie.
Angelo Houssou, vous êtes depuis quelques jours au cœur d’une
autre affaire dans l’affaire de tentative d’empoisonnement du président Boni
Yayi. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?
Permettez-moi, par respect à la déontologie du corps de la magistrature auquel
j’appartiens, la réserve professionnelle qui s’impose à tous magistrats, de ne
pas pouvoir vous dire ici ce qui motive ma décision. On ne peut discuter des
décisions d’un juge que par l’exercice des voies de recours. Il me semble qu'un
appel a été relevé de ma décision. Laissons donc à la juridiction supérieure,
c’est-à-dire la chambre d’accusation de la cour d’appel, le soin d’examiner les
motivations de mes deux ordonnances de non-lieu.
Pourquoi avez-vous tenté de quitter le Bénin ?
Il y avait un long week-end de pentecôte, et je voulais le passer à Lagos. Ce
n’est pas pour la première fois que je vais à Lagos pour y passer le week-end.
Vous vous sentez menacé ?
Par respect à la réserve professionnelle dont je viens de vous parler, je ne veux
révéler, ni ici ni ailleurs, du moins pour l’instant, aucun détail sur les
pressions que j’ai subies.
Revenons au dossier "tentative d’empoisonnement." Il se
raconte que vous êtes sous influence, donc pas impartial…
Je laisse le soin à ceux qui le pensent de le démontrer.
Avez-vous conscience d’être au cœur d’une grande affaire d’Etat ?
J’ai été saisi d’un dossier en ma qualité de juge d’instruction, dossier auquel
j’ai apporté une solution que je pense être conforme à la loi
D’après la police, votre visa d;entrée aux Etats-Unis a été
délivré le 15 mai et vous avez rendu votre décision le 17. Aviez-vous planifié
votre sortie du pays ?
Cette sortie en direction du Nigeria n’a rien à voir avec l’obtention du visa
le 15 mai. J’avais tenté sans succès l’obtention de ce visa en septembre 2012,
date à laquelle je n'étais pas encore en charge du dossier. Donc l’obtention de
ce visa et le voyage au Nigéria de ce vendredi ne sont pas à lier.
Sur certains forums de discussion, il se dit que votre visa
d’entrée aux Etats-Unis est un faux...
Je laisse le soin à ceux qui le disent de le prouver
Votre passeport est-il toujours avec vous ou saisi par la police
?
Mon passeport fait actuellement l’objet d’une saisie par la police de mon pays.
Comment se passent vos journées depuis votre « reconduite » à
votre domicile ? Qu’est-ce qui a changé?
Depuis que je suis rentré chez moi, ma famille et moi sommes envahis par une
horde de militaires et d'agents des renseignements qui circulent partout, vont
et viennent dans tous les compartiments de ma maison sous le prétexte d'assurer
ma sécurité. Ce sont des gens armés qui refusent de décliner leur identité à
moi dont ils veulent assurer la sécurité. Face à tous ces mouvements suspects,
envahissants et psychologiquement dévastateurs pour les enfants dans la maison,
j’éprouve un profond sentiment d’insécurité. Je n’ai plus aucun contrôle ni sur
ma maison, ni sur ma vie, encore moins sur la protection de ma famille. Je dis
urbi et orbi que ma vie est en danger. Tout l’arsenal mis en place et qui est
censé assurer ma sécurité est une grande source d’inquiétude, de peur et de
stress pour moi et ma famille
Avez-vous l’impression d’être assigné à résidence ?
Actuellement, je suis interdit de sortir de chez moi sans l’autorisation
préalable du directeur général de la police nationale et du chef d’état-major
général. Je me demande dans quelle situation je me retrouve exactement :
Suis-je en résidence surveillée ? Suis-je séquestré ? En tout état de cause,
aucune mesure du genre ne m’a été notifiée. Actuellement, je n’ai aucun
contrôle sur ces militaires qui se relaient à mon domicile et dans mon
quartier. J’ai très peur pour ma vie et celle de ma famille. Pour finir, je
voudrais, en ce moment de désarroi et de profond sentiment d’insécurité, prendre
l’opinion publique nationale et internationale à témoin sur les dangers réels
qui pèsent sur ma vie et celle de ma famille. Au-delà de ma petite personne et
de l’importance que représente, à mes yeux, la sécurité de ma famille, je
souhaite que cet entretien soit le témoignage, s’il en est encore besoin, de la
nécessité de protéger le juge béninois et les cancans de la presse, qui
constituent, à mon humble avis, un véritable obstacle à l’administration d’une
justice indépendante, facteur de développement économique.
Publié avec autorisation du site afrika7 (interview
diffusée également sur BBC)
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