Yves BOURGUIGNON : « Antoine DADELE et moi sommes les seuls initiateurs du FITHEB »
Ancien Directeur du Centre Culturel français du Bénin, Yves BOURGUIGNON persiste et signe. Le Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB) est né de sa volonté ainsi que de celle d’Antoine DADELE. C’est d’ailleurs ce dernier qui a proposé cet acronyme pour l’événement au regard de la dimension internationale qu’ils ont voulu lui donner. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il revient en détails sur le processus de création du FITHEB. Il se prononce par ailleurs sur les journées de réflexion sur le FITHEB qui se déroulent actuellement à Grand-Popo et souhaite que le consensus soit trouvé entre les acteurs pour le bien du festival.
Deux journées de réflexion sur le FITHEB se tiennent actuellement à Grand-Popo. A défaut d’y prendre part, vu que vous êtes en France, avez-vous un souhait à formuler à l’endroit de ceux qui y participent ?
Je souhaite de tout mon cœur que l’intérêt collectif et artistique prenne le pas sur les rivalités, les querelles intestines et les appétits de pouvoir et que la communauté des artistes du Bénin s’unisse pour assurer un avenir radieux au FITHEB et au théâtre africain en général. Je souhaite également que les journées de réflexion sur le FITHEB soient fructueuses et qu’elles contribuent à une plus grande solidarité du monde artistique béninois.
Vous seriez l’un des initiateurs de ce festival. Pouvez-vous nous expliquer comment vous est venue une telle idée ?
Comme vous le savez sans doute, j’ai pris mes fonctions de directeur du CCF de Cotonou en octobre 1988. Immédiatement, j’ai senti qu’une relation forte allait s’établir entre ce pays et moi. Je me souviens que la première grande tournée artistique française que j’ai accueillie- ce devait être en décembre 88 -, fut « Le Tartufe » de Molière dans une mise en scène de Jean-Luc Jenner. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que le théâtre de verdure était archi-comble ce soir-là (800 spectateurs) et que l’attention du public de Cotonou, très majoritairement béninois, ne baissa à aucun moment au cours des trois heures que dura cette représentation, qui plus est, la pièce la moins facile du répertoire de Molière.
J’ai compris à cet instant que le public béninois manifestait un véritable engouement pour le théâtre. Ce constat sera confirmé au cours de la saison artistique 88-89, au cours de laquelle je fis connaissance avec l’ensemble des comédiens, metteurs en scène et compagnies théâtrales de Cotonou. C’est de cette période que date ma rencontre avec Antoine DADELE qui dirigeait une de ces compagnies que j’avais programmées.
De nos nombreuses discussions passionnées est née l’idée d’organiser, autour du 27 mars (Journée mondiale du théâtre, ndlr), une manifestation consacrée entièrement aux créations béninoises. C’est ainsi qu’en mars 1990, j’ai programmé au CCF, trois semaines durant, toutes les compagnies théâtrales de Cotonou et de Porto-Novo. Ce fut un succès monstre! Plus de mille spectateurs se bousculaient chaque soir à l’entrée du CCF pour assister aux représentations.
C’est donc l’engouement du public qui vous a conduit à la création du FITHEB ?
En quelque sorte. C’est à partir de ce succès sans précédent, qu’Antoine DADELE et moi-même, avons imaginé un festival panafricain de théâtre dès 1991, sous forme d’une biennale, les années impaires et, en alternance, les années paires, un festival national qui permettrait de sélectionner la meilleure troupe chargée de représenter le Bénin au cours de l’édition suivante du festival international. Cette troupe se verrait allouer des moyens pour financer sa création.
Il nous est apparu très vite que ce festival ne pouvait se cantonner à la seule ville de Cotonou et qu’il devait s’adresser également aux publics des villes importantes de l’intérieur du pays. L’organisation de manifestations dans le cadre du bicentenaire de la Révolution Française, en 1989, m’avait conduit à découvrir le Palais Royal de Porto-Novo et son immense cour d’honneur et d’y faire représenter plusieurs créations de compagnies françaises et bénino-françaises avec l’accord du Ministère de la Culture et du conservateur du palais de Porto-Novo. Utiliser les sites patrimoniaux pour promouvoir la création théâtrale, à l’instar du Festival d’Avignon, telle fut l’idée qui nous illumina.
Dès lors, mon intérêt se porta sur les autres sites du patrimoine historique béninois : Ouidah, Allada, Abomey. Lentement mais sûrement, se dessinait un projet de festival original, inédit, décentralisé, s’appuyant sur la richesse du patrimoine de l’histoire du Bénin. En outre, en 1989, je décidai de la fermeture de l’annexe de Saint-Michel du CCF de Cotonou du fait de l’inutilité de deux établissements trop proches l’un de l’autre à Cotonou. En échange, la Mission de Coopération exigea qu’un nouvel établissement voit le jour à Parakou, au centre du pays. Plusieurs missions nous conduiront dans cette ville afin d’identifier un lieu d’implantation. Très vite, notre choix se fixa sur le Cercle d’Action Sportive (CAS), propriété de l’Etat Français dont une grande partie du terrain était désaffectée. Je suggérai que les bâtiments existants et les terrains de tennis et de basket ne soient pas détruits pour maintenir les activités sportives locales en place, et que nous occupions la partie du terrain laissée en friche.
L’idée fut retenue et en mars 1991, le Centre culturel français de Parakou, annexe du CCF de Cotonou, était inauguré, en présence du Ministre de la Culture du Gouvernement de transition du Bénin et du Chef de la Mission française de Coopération. La direction en fut confiée à Prosper Nougloï, personnel compétent du CCF de Cotonou, comédien et animateur de l’Atelier Théâtre. Dès lors, le festival que nous avions imaginé, Antoine DADELE et moi, se déclinait déjà sous forme d’un circuit: Cotonou, Porto-Novo, Ouidah, Abomey, Parakou. Toutefois, ce festival ne pouvait exister sans l’autorisation et l’appui financier du Bénin. A cet effet, Antoine et moi décidâmes de rencontrer le Ministre de la Culture, Karim Dramane, pour lui soumettre notre projet. Ce dernier accueillit l’idée avec enthousiasme et nous promit un soutien sans faille et une subvention de 5 millions de FCFA (avant dévaluation soit 100 000 FF ou 15 000 €).
Utiliser les sites patrimoniaux pour promouvoir la création théâtrale, à l’instar du Festival d’Avignon, telle fut l’idée qui nous illumina.
De mon côté, je m’emploie à convaincre ma hiérarchie qui accepte de soutenir le projet. La Mission de Coopération décide de m’allouer des moyens pour équiper techniquement en son et éclairage les scènes de Porto-Novo, Ouidah et Abomey. En outre, elle prend en charge la réalisation d’une scène dans la cour du Palais Royal de Porto-Novo, l’installation d’une ligne électrique renforcée pour l’alimentation des équipements techniques et la réfection des éclairages du Palais. Pour sa part, le Ministère français de la Coopération me promet une subvention de 300 000 FF destinée au fonctionnement du festival. Désormais, tout est en place pour la réalisation de notre projet.
Ainsi fut organisée la 1ère édition du FITHEB ?
Oui, la première édition du FITHEB, dont l’acronyme fut choisi par Antoine DADELE, pouvait enfin voir le jour. S’agissant de la programmation, dès octobre 1990, je fis appel à mes collègues directeurs de CCF d’Afrique de l’Ouest pour qu’ils sélectionnent la meilleure compagnie théâtrale de leur pays respectif et cherchent des moyens pour financer les frais de déplacement, par route ou par avion. Dès janvier 91, je fus en mesure de mettre en place la programmation.
Outre le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali et le Togo seront représentés à cette toute première édition du Festival International de Théâtre du Bénin. Trois techniciens français du son et de l’éclairage furent invités à assurer la gestion technique des espaces de Porto-Novo, Ouidah et Abomey et la formation de techniciens béninois.
A quel moment intervient Tola KOUKOUI, puisque jusque-là, vous ne l’avez pas encore cité ?
Tola KOUKOUI est intervenu au moment où je mettais en place la programmation du Festival. Soucieux de permettre aux talents béninois de revenir au Bénin et désireux de conférer le maximum de prestige à la soirée d’ouverture au Palais Royal de Porto-Novo, je décidai de prendre attache avec Tola KOUKOUI dont je connaissais la qualité du travail et qui me semblait le mieux indiqué et le plus compétent pour assurer la création du spectacle inaugural.
Sa participation à la première édition du FITHEB relève de ma seule décision. Il a signé avec le CCF de Cotonou un contrat en bonne et due forme fixant le montant de sa rémunération, la durée et la prise en charge de son séjour, la prise en charge de ses déplacements, l’estimation du coût de la production de la soirée. Tola a réussi au-delà de toute attente. Sa création fut sans conteste un succès inoubliable. Son talent et son énergie nous ont tous subjugués. D’ailleurs, toute cette première édition fut une réussite totale tant par la qualité des spectacles présentés que par l’affluence du public.
Vous étiez donc juste deux à avoir initié le FITHEB ?
Antoine DADELE et moi sommes les seuls initiateurs du FITHEB.
Sa participation (de Tola KOUKOUI) à la première édition du FITHEB relève de ma seule décision. Il a signé avec le CCF de Cotonou un contrat en bonne et due forme …
Quelles étaient vos réelles motivations en mettant en place ce festival ?
Dans tous les pays d’Afrique francophone où il m’a été donné de servir, j’ai pu constater que les créations théâtrales ne vivaient que l’espace d’une ou deux représentations et dans un espace limité à la seule ville de résidence de la compagnie. J’ai toujours souhaité offrir à ces créations une plus large diffusion tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Le FITHEB répondait à cette préoccupation. Les objectifs du FITHEB étaient multiples et ambitieux : rencontre, échange, découverte, ouverture, formation, humanisme, avec des aspects politiques et économiques non négligeables.
Il s’agissait entre autres, de convaincre les autorités politiques du Bénin de soutenir et de pérenniser la manifestation; de promouvoir le Bénin, son patrimoine historique et sa culture, son ouverture démocratique; de favoriser les échanges culturels en Afrique de l’Ouest; de promouvoir la création théâtrale francophone africaine en général et béninoise en particulier; de permettre une offre culturel aux publics des villes intérieures du pays; de permettre aux comédiens, metteurs en scènes et dramaturges de se confronter et d’échanger; de faire émerger les prémisses d’une économie du théâtre grâce aux cachets et aux défraiements perçus par les compagnies; et enfin de soutenir les restaurants et hôtels assurant le gîte et le couvert des artistes dans les cinq villes.
A votre avis, vos objectifs étaient-ils atteints ?
Je pense sincèrement que la plupart de ses objectifs ont été atteints. Ce festival est cher à mon cœur et je me réjouis que les autorités béninoises se le soient appropriées et en aient assuré la pérennisation. La stabilité politique que votre pays a connue depuis 1991 fut un des facteurs essentiels de cette pérennité. Tant d’autres événements artistiques n’ont pas eu cette chance (MASA en Côte d’Ivoire, Rencontres de la Photographie à Bamako, Saint-Louis Jazz au Sénégal, etc….).
Ce festival est cher à mon cœur et je me réjouis que les autorités béninoises se le soient appropriées et en aient assuré la pérennisation.
Plus de 20 ans après sa première édition, le FITHEB devrait-il changer d’orientation ?
Vingt ans après, je ne crois pas qu’il faille modifier radicalement les orientations du FITHEB qui restent globalement celles des origines. En revanche, je suggèrerais qu’il recentre sa programmation sur le théâtre africain francophone et qu’il développe ses relations avec les autres festivals africains dans la perspective d’une mutualisation des programmations et des moyens. En permettant aux compagnies de jouer une vingtaine de fois devant des publics différents, les cachets et les défraiements reçus contribueront sans nul doute à la professionnalisation des troupes et des artistes qui la composent et ces derniers se trouveront alors en mesure d’investir dans de nouvelles créations.Selon vous, le Directeur d’un festival comme le FITHEB devrait-il être nommé par le Ministère ?
Il me paraît logique qu’un Etat qui finance intégralement une manifestation se préoccupe du choix de son responsable. A lui de savoir faire le bon choix et de tenir compte des avis des professionnels et de la société civile au sein d’une commission ad’hoc qu’il est tenu de mettre en place.
Interview réalisée par Eustache AGBOTON©www.benincultures.com
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