vendredi 6 avril 2012

LA COPIE ET L'ORIGINALE

La campagne électorale bat son plein depuis quelques jours en France où je me trouve en ce moment, en tournée théâtrale avec le spectacle "Les nègres" de Jean GENET, mis en scène de Emmanuel DAUMAS.
Je dois avouer que cette tournée, en ce moment précis de campagne électorale, m'a permis de constater que, souvent, la copie est pareille à l'originale.
Mon argumentation ou mon raisonnement pourrait paraitre faux. Et pourtant...
Nous voici donc en France, "pays modèle de démocratie", "des droits de l'homme".... et de tout ce "qui est bien au monde"; "pays exemple"; "modèle à suivre" pour les pays africains, nous a-t-on souvent sifflé.
J'ai pris la peine donc d'observer et de suivre la campagne électorale avec beaucoup de soins et d'attention comme pour en tirer de leçons à mettre en application dans mon pays. Il m'a tout simplement manqué de faire le tour de quelques meeting en live.
Mas les télévisions m'ont restitué l'essentiel de ce qui s'est dit et fait aux différentes rencontres.
Je dirai simplement toute ma surprise de voir que comme ailleurs, je veux dire dans les élections en Afrique, aucun compte n'a été tenu ici des préoccupations effectives du peuple français.
Exemple:
La question de l'éducation avec la suppression ces dernières années de nombres de poste dans le secteur;
la question de la sécurité dans les banlieues et dans toute la France avec la suppression ces dernières années de nombreux emplois dans la police, la gendarmerie, la douane...
La question de la santé avec l'accès de plus en plus difficile du français moyen aux soins de santé de qualité et à coût raisonnable;
La question de la place et du rôle de la France dans l'Euro...
La question de la dette, puisque la France en a aujourd'hui suffisamment;
L'éternel question du pouvoir d'achat du citoyen français et le taux de chômage....
Aucune de ces questions n'a été véritablement abordée avec des propositions et contre propositions concrètes par l'un ou l'autre des candidats.
Nicolas SARKOZY, président sortant et candidat à sa propre succession a plutôt mené une campagne faite d'injures; de menaces et de stigmatisation des immigrés. Encore en perte de vitesse dans les sondages, l'homme n'a à aucun moment parlé de son bilan-pourtant c'est bien le moment-. Il n'a fait que promettre: "réduire de moitié le nombre d'autorisation d'immigration" dès qu'il sera élu président.
François HOLLANDE, candidat du PS à cet exercice ne s'est à aucun moment montré à la hauteur du job, fuyant la contradiction, la confrontation directe ou du moins, il la remet toujours pour l'entre deux tours. Pourtant, pendant longtemps, le candidat du Ps a incarné l'alternative aux pagailles et aux agitations du président sortant.
Jean-Luc MELENCHON, candidat de la gauche radicale, tribun et orateur thuriféraire, il monte dans les sondages sans vraiment touché le fond de l'affaire. Son avantage, il incarne la gauche forte, la gauche rigide. Il fait preuve de beaucoup d'engagement et de détermination; il frappe souvent au bon endroit même si les coups qu'il donne ne sont pas aussi forts. Il brandit bien des proposititions audacieuses. Tout le contraire de monsieur Hollande, mou, nonchalant et pas déterminé...
Marine LEPEN a incarné tout au long de cette campagne, la haine, l'animosité, le mépris de l'autre... Cette dame vit malheureusement encore dans sa tête à l'époque où l'on parlait de race inférieure et de race supérieure, du moins à en croire ces déclarations sur les immigrés; les arables plus précisément et les noirs!
Voilà à peu près le tableau que présentent les "grands candidats" dans cette campagne électorale. Et c'est au milieu de ce vide de mots justes et de propositions concrètes pour le mieux être des français que, comme pour distraire l'électorat, un puant et inutile débat naît sur la viande halal! Curieusement, tous les candidats, même ceux les plus avares en paroles et propositions ont glissé leurs avis. Le halal est devenu brusquement un sujet de préoccupation nationale; une question de vie ou de mort. Un thème de campagne commun à tous! C'est juste à la sortie de cette longue récréation à laquelle monsieur FILLON, premier ministre du gouvernement Sarkozy, a prit part avec des mots peu digne et peu responsable, qu'est survenu l'affaire du tueur Mohamed Merah!
En effet, un jeune français d'origine algérienne a tué environ sept personnes dont des enfants devant une école. Là encore la République a arrêté de fonctionné; Sarkozy et Hollande ont suspendu leur campagne électorale. Tous les candidats sont allés défilés devant l'école où s'est produit le drame. Ce fait divers deviendra un thème de campagne. Sarkozy et tous les autres vont l'utiliser, l'agiter longtemps. Le président sortant a même pris sur le champs et devant caméras et micros l'initiative de lois pour punir au pénale toute personne qui consulterait fréquemment des sites web à caractère islamiste!
Rarement on a vu une campagne électorale aussi nulle ou du moins des candidats aussi minables et stratégiquement inquiétants.
J'ai souvent suivi les élections présidentielles, législatives et autres en Afrique, et particulièrement au Bénin. J'ai toujours entendu les critiques des médias du nord et celles des officiels français en particulier, sur l'absence de débat crédible et de projets sérieux de société. Et je découvre malheureusement que c'est justement ce qu'on reproche aux politiciens africains qui est fait ici aussi. Nos politiciens sont des copies de ceux de la France, malheureusement! Ils ont fait leurs études ici en France; certains ont commencé leur carrière ici et c'est bien ici qu'ils ont l'essentiel de leurs relations... La France est pour certains pays africains et leurs dirigeants, un modèle. Et c'est en copiant ce modèle point par point que ces pays d'Afrique et leurs politiciens ont pris certaines habitudes. Comme quoi, la copie n'est souvent pas différente de l'originale.

mercredi 4 avril 2012

SITUATION POLITIQUE AU MALI: LA LETTRE OUVERTE D'ALIOUNE IFRA NDIAYE AU CAPITAINE AMADOU SANOGO


LETTRE OUVERTE D'ALIOUNE IFRA NDIAYE AU CAPITAINE AMADOU SANOGOAlioune Ifra Ndiaye est le directeur de BlonBa, une importante structure culturelle et artistique bamakoise. Il a été choisi comme un des porte-parole du Front pour la sauvegarde de la démocratie et de la république, opposé au putsch.mars 2012 - divers
Bonjour mon capitaine,

Je me permets de vous adresser cette lettre ouverte parce que je vois que mon pays s'enfonce dans l'aventure et que je ne peux pas me taire.
Mon capitaine, vous avez pris le pouvoir parce que vous étiez mécontent, comme beaucoup, mais surtout parce que vous aviez des armes. Ce qui est d'ailleurs le cas des rebelles du Nord. Ils étaient mécontents et ils ont des armes. Ils les ont retournées contre leur pays. Aujourd'hui, leur mécontentement est devenu une revendication politique : la partition du Mali.

Mon capitaine, votre mécontentement est malheureusement en train de changer de nature. Il provoque une confusion politique qui coupe le Mali du reste du monde.

Mon capitaine, j'observe que, pro ou anti coup d'Etat, tout le monde est unanime pour dire que vous n'êtes pas une mauvaise personne. Mais ça ne donne ni la légitimité, ni les connaissances qui permettent, au XXIe siècle, de diriger le pays.

Mon capitaine, la plupart des gens qu'on entend très fort, qu'ils soient pro ou anti coup d'Etat, ne cherchent qu'une chose : attirer votre attention et se positionner pour le "partage du gâteau". Il ya quelques mois, beaucoup d'entre eux qualifiaient ATT de messie. Certains lui ont même proposé un troisième mandat. D'autres sont mécontents, parce qu'on leur a pris leur strapontin. C'est malheureusement une réalité de notre pays, une réalité que nous vivons tous, que vous vivez comme nous. Et quand les événements tourneront mal - il y a toujours un moment où ça tourne mal - ces mêmes personnes qui aujourd'hui vous encensent diront : "On l'avait bien dit, il n'écoute pas les gens".

Mon capitaine, je ne crois pas qu'un seul Malien soit fier de ce qui se passe aujourd'hui. Mais nous sommes tous responsables de la situation. ATT, vous, le citoyen lambda, moi…. J'imagine la pression sociale que vous devez subir. "C'est notre tour maintenant" vous diront la famille, les amis, les anciens proches et les nouveaux proches, tous les opportunistes que toujours le pouvoir attire. Ces sentiments destructeurs ont déjà dérouté du droit chemin des milliers de cadres compétents. Les liens familiaux et les passe-droits priment sur la compétence. La société elle-même n'a pas pris la mesure du chantier. La preuve. Nous tolérons la corruption quand elle est le fait d'un parent qui nous en fait profiter. Beaucoup d'associations et de partis politiques vous soutiennent aujourd'hui espérant tirer de ce soutien un maroquin, un strapontin, un avantage. L'impasse dans laquelle la situation nous met, les dangers qu'elle fait courir à la patrie, à nous tous, à vous même, c'est le dernier de leur souci.

Mon capitaine, des centaines de milliers de personnes comme moi n'ont pas besoin d'être ministres, députés, directeurs généraux, conseillers municipaux, ect…Nous savons travailler. Nous nous sommes assumés en créant les moyens de notre activité, des associations, des ateliers, des exploitations agricoles, des PME, des PMI. Nous sommes le cœur du dynamisme du Mali d'aujourd'hui. Nous sommes la vraie société civile. Nous appartenons à des familles politiques différentes ou même à aucune. Aux élections prochaines, nous ne voterons pas pour les mêmes candidats. Nous sommes souvent maltraités par le système. Mais nous n'avons pas souhaité le coup d'Etat. Nous voulons un Mali stable avec des repères intouchables quel que soit le problème. Le Sénégal vient de nous donner une leçon qu'aujourd'hui nous méditons tous dans la tristesse et l'angoisse du lendemain.

Mon capitaine, imaginez un homme qui change constamment de nom de famille. Pensez-vous que ses voisins lui feront confiance ? Sa propre famille lui fera-t-elle confiance ?

Un ami me disait hier, "l'eau versée ne peut être ramassée". C'est vrai. Mais nous pouvons sortir de cette impasse par le haut. Et la CEDEAO nous tend une perche. Elle n'est pas géniale comme solution, mais elle nous permettra de sortir rapidement de cette impasse. Vous. Nous. Le pays. Beaucoup de citoyens maliens de ma génération ou plus jeunes sont décidés à tout faire pour que le laisser-aller, la corruption, les injustices, le mépris de l'intérêt général n'aient plus droit de cité dans notre patrie. Là est la vraie force des idées que vous affirmez vouloir mettre en œuvre, pas dans la peur, ni dans les fusils.

Alioune Ifra Ndiaye
SOURCE: Africultures-Murmure-lettre

dimanche 1 avril 2012

SITUATION POLITIQUE AU MALI: LE POINT DE VUE DE MOUSSA KONATE


Moussa Konaté est un romancier, dramaturge et essayiste malien, auteur notamment des ouvrages suivants : "Le Prix de l’âme" (1981), "Une Aube incertaine" (1985), "Fils du Chaos" (1986), "Chronique d’une journée de répression" (1988), "Les Saisons" (1990), "Goorgi" (1998), "L’Assassin du Banconi" (2002), "L’Honneur des Keïta" (2002), "L’Empreinte du renard" (2006) et "La Malédiction du Lamentin" (2009).


Le coup d’État du 22 mars a été une surprise désagréable pour certains, douloureuse pour d’autres. Comme si, encore une fois, l’Afrique noire donnait la preuve de son incapacité à vivre en démocratie. Les condamnations n’ont pas tardé à fuser, provenant aussi bien des institutions sous-régionales et continentales que de la France, l’ancien pays colonisateur. Paradoxalement, la voix la plus légitime, celle du peuple malien, demeure inaudible.
L’argumentation des jeunes militaires qui se sont emparés du pouvoir et une analyse superficielle de l’événement pourraient faire croire que c’est l’incapacité d’Amadou Toumani Touré (ATT) à contrer la rébellion touarègue qui est à l’origine du putsch. Certes, les revers subis par l’armée malienne face à quelques centaines de rebelles sont humiliants, aussi bien pour les soldats que pour le peuple malien, si fier de son histoire, mais ils ne sont, en réalité, que le révélateur d’une situation beaucoup plus inquiétante et plus générale : celle du Mali.
Il est indispensable de faire un rapide tour d’horizon de l’histoire récente de ce pays pour comprendre le problème. En 1991, quand tombe le régime militaire de Moussa Traoré, l’espoir s’était installé dans le cœur des Maliens, convaincus qu’avec la liberté retrouvée, le bonheur était à portée de main. Hélas, ce fut au contraire le commencement d’un long calvaire. Certes, le multipartisme avait pris la place du parti unique, mais les maux qui gangrenaient le régime militaire avaient continué et n’avaient cessé de s’aggraver depuis. La corruption, le détournement des deniers publics, le népotisme, entre autres, avaient fini par devenir l’essence du moteur étatique.
Le malheur des Maliens fut d’avoir remplacé un régime militaire par une mafia pour laquelle les intérêts personnels sont au-dessus de l’intérêt public. Les élections ne furent plus que des parodies, car ceux qui étaient supposés rivaliser pour obtenir le suffrage des populations, s’entendaient en secret pour installer au pouvoir celui qui était susceptible de défendre leurs intérêts. La comédie était tellement bien jouée que le monde applaudissait la « démocratie malienne ». Et ATT fut de ces élus. Il n’avait pas l’étoffe d’un chef d’État, mais peu importait. Peu à peu, l’État malien est devenu la propriété privée de la classe politique et de ses complices de l’administration et des affaires.


Pour assagir les trublions, au lieu d’utiliser la force, comme Moussa Traoré, les nouveaux politiciens usèrent de la corruption.


Pour assagir les trublions, au lieu d’utiliser la force, comme Moussa Traoré, les nouveaux politiciens usèrent de la corruption. C’est ainsi que les étudiants, qui furent au cœur de la révolte contre Moussa Traoré, eurent les poches pleines de Francs CFA et se virent promis des hauts postes dans l’administration dès la fin de leurs études. Pour se faire élire, il suffisait et il suffit d’offrir quelques billets de banque aux chefs de villages et à des chefs religieux pour que les populations votent les yeux fermés, d’autant plus que plus de la moitié des Maliens est analphabète et vit dans la misère.
Désormais, au Mali, tout s’achète, de l’acte de naissance à l’acte de décès, en passant par les notes de classe, le permis de conduire, etc. Et cela au su et au vu de tous ! Il faut se rappeler que Senoussi, l’ancien chef des services de renseignements libyen, était muni d’un passeport malien « falsifié » et que l’ancien président Amadou Toumani Touré avait déclaré qu’il n’humilierait pas des « chefs de famille » en les emprisonnant pour détournement de deniers publics. N’est-ce pas une incitation au vol et à la corruption de la part du plus haut responsable de l’État ?
Quoi d’étonnant dès lors que, dans un pays où l’État appartient à une mafia, l’armée soit minée par la corruption, le vol et le népotisme ? Si les rebelles remportent des victoires, c’est parce qu’ils font face à une armée où les galons se distribuent comme de petits pains. Le putsch était donc prévisible. La rébellion touarègue ne fut qu’un révélateur du marasme dans lequel est plongé le Mali. L’état de l’armée malienne n’est que le reflet de l’état de la société malienne. Le consensus, qui a fait la force du Mali, où les ethnies se côtoient fraternellement, finit par être sa faiblesse du moment qu’elle est détournée par les politiciens.


Moussa KONATE

Source: JEUNE AFRIQUE