MacbethWilliam Shakespeare / Laurent PELLY

Macbeth est une pièce monumentale où se mêlent aux côtés de l'humain, de ses troubles, le surnaturel et le merveilleux. Laurent Pelly transforme le plateau en un espace labyrinthique, jouant sur la frontière entre l'intime et le spectaculaire, pour mettre en scène cette soif de pouvoir, cette violence absurde menant à la folie.
Jeu de massacres - Entretien avec Laurent Pelly

« Les œuvres nous imposent une image » dites-vous souvent. Laquelle s’est imposée pour Macbeth ?
Celle d’un labyrinthe. Cette tragédie est d’abord celle de l’enfermement dans lequel se mure un couple hanté par la soif du pouvoir et son obsession de s’y maintenir. Et le labyrinthe – espace carcéral angoissant, violent, dangereux et absurde – en est la représentation mentale. Un lieu dramatique qui peut se lire comme la métaphore d’une intériorité malade, mais un lieu mouvant : générateur d’angoisses ou ... de surprises. Dans un labyrinthe, sait-on jamais ce sur quoi on va tomber : un cul de sac, une sortie, un Minotaure ... ? C’est à partir de cette idée que j’ai construit une scénographie qu’il faut à présent confronter au travail de plateau, aux comédiens, à leurs forces et à leurs faiblesses. Pour la faire évoluer. En jouer, dans tous les sens du terme.

Pourquoi avoir choisi une des plus grandes pièces du répertoire shakespearien ?
Comme je l’avais fait pour Le Roi nu, comme j’aurais pu le faire avec Ubu Roi, que j’avais d’abord envisagé, je souhaitais travailler sur la folie du pouvoir absolu. Ou plus exactement sur la farce du pouvoir qui avec cette violence absurde mise en œuvre pour le conquérir – mène à la folie. Car Shakespeare dit bien qu’on prend toujours le pouvoir pour lui-même. Sans trop savoir ce qu’on va en faire. Et on n’en fera au fond que ce que les circonstances permettront.

Vous semblez établir un lien entre l’univers de Macbeth et celui d’Ubu ...
Qu’un homme faible – presque un imbécile – puisse, pour accéder au pouvoir, en assassiner un autre pour penser ensuite devoir tuer tous ceux qui le renvoient à sa culpabilité, il y a bien là quelque chose d’ubuesque. Et la première scène d’Ubu Roi, au cours de laquelle Mère Ubu tente de persuader son mari de tuer le roi, est largement inspirée de Macbeth. Pourquoi un individu se réveille-t-il un matin en croyant à la réalité de ses rêves et ne recule devant rien pour les réaliser ? Comment une société construit-elle un tyran pour l’amener à sa perte ? Comment peut-elle en faire un Père Ubu si « drôle » qu’on le passe expéditivement par les armes ? Autant de questions qui amènent à s’interroger sur la nature et les origines de la barbarie. Macbeth, ce n’est pas que l’autopsie d’un crime. C’est le côté obscur de la puissance, du pouvoir. On n’est plus dans le sens de l’Histoire sur lequel Shakespeare n’a cessé de s’interroger – via ses drames historiques notamment. On est au cœur des ténèbres, dans une sorte de chaos où ont disparu tous les repères. Au cœur de l’humain, de ses troubles, de son désordre, de sa folie. Dans le bruit et la fureur. Au cœur du Mal.

Cette histoire prend pour cadre une Écosse ancienne, primitive et barbare, où le surnaturel tient une grande place. Cela a-t-il orienté vos choix esthétiques ?Il ne pouvait s’agir de traiter le surnaturel jusqu’à la forêt qui se met en mouvement et qui, d’une certaine manière, relève du merveil- leux – de façon anecdotique. La procession d’apparitions ou de spectres, le couteau déchirant la nuit ... ce sont des images impressionnantes que l’on peut rêver de créer sur un grand plateau. Mais étant dans un espace mental, il me semble plus juste de trouver une imagerie poétique qui amènera à s’interroger sur la part de réalisme et la part de suggestion.

De ce point de vue, que représentent les sorcières qui ouvrent la pièce ?
On raconte que, quand il jouait Macbeth à la Comédie-Française, le grand Talma, tel un ventriloque, faisait la voix des sorcières. Comme si s’exprimait alors une voix intérieure. Je ne suis pas loin de penser que ces sorcières n’existent pas vraiment, qu’elles appartiennent au monde intérieur de Macbeth. Elles sont mystérieuses, impressionnantes, terrifiantes, et relèvent en même temps de figures oniriques liées à l’enfance, un état dont se rapproche Macbeth. L’enjeu est de rendre ces créatures irréellement réalistes. N’ont-elles pas – dans le texte même de Shakespeare – une nature androgyne avec leur barbe ? Je souhaite qu’elles soient là sans y être, qu’on ne les perçoive que sous la forme de transparences ou de reflets. Comme des projections fantas- magoriques ...

En dépit de moments spectaculaires (les rencontres avec les sorcières, l’irruption du spectre de Banquo, la bataille finale ...) la majorité des scènes de cette tragédie relèvent presque du théâtre de chambre. Comment préserver cette dimension sur un grand plateau ?

En quoi espace et intimité seraient-ils antino- miques ? Il peut y avoir de l’intimité sur une agora gigantesque. Ce qui m’impressionne chez Shakespeare, c’est qu’on peut le jouer avec rien, ce qui était l’essence même du théâtre élisabéthain. C’est aussi ce en quoi cette pièce est extrêmement moderne : elle n’oblige pas à restituer un décorum. Comme un espace mental est à inventer, on peut aussi bien penser à un couloir minuscule qu’à un extérieur grand angle. De ce point de vue, l’idée d’utiliser comme objet narratif un labyrinthe modulable, tout en autorisant plusieurs niveaux de lecture et de jeu, permet aussi bien de déterminer les territoires des personnages que de conserver les tableaux de guerre, essentiels à l’œuvre. Et ce labyrinthe, dominé par la silhouette intrigante d’une haute maison utilisable tant de l’extérieur que de l’intérieur – « château » qui est à la fois lieu de la tragédie, lieu du crime, du cauchemar et de la folie, de la domination et du pouvoir – me donne le moyen de matéria- liser la question du territoire.
Je suis toujours perplexe de voir, sitôt construite une maison, la précipitation avec laquelle on l’enclôt d’un mur de parpaings. Avec l’idée qu’il y a toujours quelque chose ou quelqu’un derrière le mur : l’étranger ? L’ennemi ? ... un danger de toute façon ! En montant un mur, on prétend se créer un espace inviolable. On trouve surtout un moyen de justifier les agressions meurtrières à venir. Au fond, cette tragédie pourrait se passer dans un lotissement comme à l’échelle internationale où les « guerres de territoire » ne manquent pas ! On est aussi bien dans le très grand que dans le très petit ... Je tiens à jouer de cet entre deux.

Qu’induit une telle lecture dans l’élaboration des costumes ?
D’éviter tout autant la reconstitution historique que l’actualisation systématique, inventer une image du guerrier qui soit cohérente et complète. Avec des signes clairs qui renvoient aussi bien à une guerre tribale qu’à une imagerie de type médiéval ou quasi contemporaine, voire postmoderne. Il faut parvenir à inventer une silhouette qui tout en effrayant – puisque la guerre crée du crime – ne soit pas pour autant dénuée de drôlerie. Car il y a dans cette pièce, à côté du drame et d’une épouvante terrible, de l’humour, parfois même de la légèreté. Ces guerriers ont quelque chose de dérisoire. Comme des soldats de plomb !

Et Macbeth ?Pour moi, c’est un personnage qui subit les événements. Impressionné par ce qu’on lui annonce et qui le rendra fou, il ne tente à aucun moment d’infléchir un destin sur lequel il n’a aucune prise. Il croit même, au début de l’œuvre que celui-ci a une puissance autonome, que tout peut se réaliser sans avoir à agir. C’est en quelque sorte un « innocent » vivant dans l’immédiateté de ses désirs. S’il finit par se jeter dans une fatale frénésie de meurtres qui précipite sa perte, c’est comme dans un cauchemar. C’est poussé par une Lady Macbeth, qui joue à la fois pour lui un rôle de mère et, assumant violence, ambition et jouissance du pouvoir, le rappelle à l’ordre viril. Une sorte de surmoi qui serait le désir de Macbeth par procuration ...

Souhaitez-vous donner autant de force dramatique aux héros positifs qu’aux héros négatifs de cette histoire ?Est-on bien certain qu’il y en ait ? Et si Malcom, contaminé par le pouvoir, n’était qu’un Macbeth en gestation ? Et si Duncan, ce vieux roi sur le déclin, n’était qu’un Macbeth un peu gâteux, sans doute à l’origine de la guerre qui est en train de se jouer ? Un Roi qui se meurt responsable de quelque barbarie antérieure ? ... Nous jouerons avec l’idée de tyrannie perpétuellement recom- mencée, où les hommes inventeraient des guerres absurdes, comme le ferait un enfant avec ses armes de pacotille ou sa console vidéo. Macbeth n’est pas seulement le nouveau roi d’Écosse. Il est en chacun de nous.

Propos recueillis par Jean-Louis Pélissou 8 janvier 2012

SOURCE: REGARDS (2) PLAQUETTE D'INFORMATION SUR LES PROGRAMMATIONS DU THEATRE NATIONALE DE TOULOUSE