L’urgence
d’une alternative citoyenne
Trop c’est
trop !
C’est trop, lorsque dans un
État, la justice, dernier rempart des citoyens, se met au service d’un homme.
C’est trop, lorsque,
transformée en instrument de vengeance personnelle, cette justice devient un
moyen permanent d’intimidation, d’élimination systématique d’opposants, ou
d’exclusion de concurrents.
C’est trop,
lorsque dans un État, l’économie est dans une situation de désintégration
avancée, que les scandales de toutes sortes se multiplient à l’infini, mais que
le premier responsable n’est jamais responsable
de rien et rejette toujours le tort sur celles et ceux qui sont à son service.
C’est trop,
lorsque dans un pays, les mœurs entrent dans un état de désagrégation avancée,
que la fraude devient un moyen de gouvernement, que le mensonge, les
simulations et dissimulations burlesques deviennent une stratégie de
gouvernance à la limite de l’abêtissement, que la corruption devient systémique.
C’est trop,
lorsque, au quotidien, le « complotionite », une forme de pathologie
saisit l’appareil d’Etat, transformé en machine à fabriquer des théories de
coups d’États, dont personne ne sait s’ils sont réels ou imaginaires mais qui,
à l’évidence, mobilisent et détournent de l’essentiel, l’énergie et la
force productrices des paisibles
citoyens forcés sinon de marcher pour démontrer leur soutien au prince, du
moins d’organiser des célébrations et libations de toutes sortes pour conjurer
le mauvais sort.
C’est trop,
lorsque le pays vit ainsi au rythme des complots supposés ou réels contre le
chef de l’Etat sans que les promoteurs de ces coups d’éclat ni les foules qui
les suivent ne se rendent comptent de ce que progressivement et manifestement,
ces manœuvres fragilisent l’institution qu’incarne le Chef de l’Etat en même
temps qu’elles traduisent, une perte de légitimité profonde et un aveuglément
général.
Le rubicond a été franchi
depuis fort longtemps. L’heure de
l’action a sonné !
La
tragédie que vit la justice de notre pays en ce moment, qu’elle soit
constitutionnelle, judiciaire ou administrative, sous les yeux impuissants de
la multitude, ne procède pas seulement d’une incapacité fonctionnelle ou
structurelle qui serait congénitale ou consubstantielle à l’institution. Elle
est surtout le résultat d’une stratégie de mise à genoux de celle-ci dans un
élan totalitaire de confusion et d’accaparement de l’ensemble du pouvoir
d’Etat, laquelle stratégie semble bien mûrie et visiblement mue par une
boulimie innommable et grossière du pouvoir jamais égalée par aucun régime dans
notre pays.
Mais
la solution à ce désastre serait-elle dans la pieuse espérance d’une
application saine, objective et impartiale de la règle de droit ou dans une
profession incantatoire de foi en une justice qui, dans les conditions
actuelles, a déjà abdiqué, soit par intérêt, soit par incompétence, soit encore
par connivence ?
Il convient d’en douter. De
la même manière l’on doit douter que la solution aux problèmes économiques
actuels puisse résider dans des analyses économiques infertiles, des séminaires
budgétivores, des renforcements incongrus de capacité.
Aujourd’hui, les cris de
désespoir, de ras-le-bol, les protestations platoniques et vaines, et la
résignation passive face au rouleau compresseur ne constituent plus une
réponse suffisante au mal.
Mais la réponse n’est pas,
non plus, dans une stérile conjecture et toute spéculation devient inutile.
Le policier, le gendarme
ou le magistrat qui prive arbitrairement ou abusivement de liberté est mû par
une volonté politique qui lui est étrangère, qui lui est imposée ou à laquelle
il adhère. Il n’en est pas moins conscient de sa faute, de son erreur, de son
égarement. Sa situation appelle plutôt une aide conséquente contre son
isolement, son enserrement, son encerclement.
Les ministres ou les
fonctionnaires qui, par fraude organisée, sous le prétexte farfelu d’un
équilibre régional à réaliser, rompent celui constitutionnel de l’égalité des
citoyens devant la loi, exécutent un programme politique bien pensé, mais tout
aussi éloigné du développement commun. Mais au fond de leur conscience, ils
savent qu’ils sont l’otage du chantage d’un fondamentalisme idéologique, qui prétend
corriger une ‘’injustice historique’’ au moyen d’un népotisme avéré et au
mépris du mérite et de l’équité.
Si près de 75 % des jeunes
actifs sont sans emplois et n’entretiennent le moindre espoir d’en avoir ;
si les caisses de l’État sont désespérément exsangues, que les opérateurs
économiques sont en fuite ; si le coton a perdu sa superbe blancheur et le
port, les navires qui jadis mouillaient
ses eaux et revitalisent l’économie tout entière, la cause n’est pas seulement
dans l’amateurisme managérial mais dans l’incapacité politique de celles et
ceux qui gouvernent ce pays.
Parce
que les maux dont souffre le Bénin ont d’abord leur source dans la politique,
leur solution passe par une réponse politique.
C’est par la conscience
et dans une saine, exigeante et positive action politique que résident les
solutions. « Faut-il de votre éclat, voire triompher le comte et mourir sans [réaction]
ou vivre dans la honte ! », s’est exclamé Don Diegue devant
son fils Rodrigue. Cette exclamation n’est plus cornélienne, elle est aussi une
interpellation citoyenne. Chaque citoyen doit en être habité et aller au
secours de la Nation rendue si vulnérable par tant de désastres. Atteinte dans
sa fondation et dans sa structure elle attend le salut par l’engagement de
chaque citoyen.
Le débat ne semble se
focaliser que sur le départ de celui qui égrène les jours bien comptés de son
« deuxième et dernier » mandat. Au même moment, les paris continuent
d’être discutés sur ses intentions et cette éventualité. Les chapelles
politiques et les cénacles intellectuels semblent cristalliser le débat sur cet
objectif. Et après ? L’enfer ? Le paradis ? Alafia, ou Wahala ? On aurait bien tort de
considérer que le salut du Bénin résiderait dans le simple fait du départ de
l’actuel locataire du Palais de la Marina en 2016.
Les enjeux sont plus
prononcés, les défis, plus exigeants.
I - Des enjeux prononcés. Il
est évident que les enjeux sont d’abord le Bénin en tant qu’Etat et le citoyen
en tant que personne juridique.
1°)
L’État est un enjeu certain.
L’indifférence à l’égard de la situation de déclin comateux conduit, à terme, à
la désagrégation de l’Etat par voie de rupture des liens sociaux qui le
protège, à sa vulnérabilité aux atteintes extérieures. Déjà,
la diversion politicienne nous éloigne de la protection de nos frontières et,
en conséquence, ouvre la porte à l’incursion et à l’occupation de nos
territoires par les Etats limitrophes. Il faut encore rappeler, que
progressivement, à l’État formel, se substitue un État mafieux, dans lequel
tout s’achète, se négocie. Les parrains de cet État mafieux ont confisqué les
rênes démocratiques à leur profit. La décision de quelques-uns devient
l’obligation de tous. Le droit lui-même devient l’expression et l’exécution de
la volonté d’une personne. Or, qui dit volonté unique, dit opinion inique.
C’est de l’existence durable de l’Etat qu’il s’agit, dans son intégrité, dans
sa structuration, dans sa composition.
2°) Le citoyen constitue
également un enjeu important. Ses droits se
volatilisent et se réduisent comme peau de chagrin. Le parquet de Cotonou n’a jamais
été, à travers toute son histoire, sollicité avec autant de constance et de
fréquence que pendant les périodes de sinistres mémoires de dictature post
indépendance. Le vœu de liberté intègre désormais la corbeille des vœux
adressés aux Béninois. Or, c’est un citoyen libre qui crée, qui entretient, qui
développe. La pression psychologique qui pèse sur les citoyens a des
conséquences sociales et économiques certaines. En ce qu’elle conduit à la
ruine de la famille et du négoce, elle détruit également la nation et le
commerce.
3°) Enfin,
l’unité nationale. Au fond, sa survie constitue le véritable enjeu.
Elle est complexifiée par la perversité de l’action publique qualifiée par
certains, bien à tort, de régionalisme. Ce n’est pas que le régionalisme doive
être célébré. Mais à considérer qu’il ait quelque justification sociologique,
il faut encore qu’il soit juste.
A l’évidence, le Bénin se
porte très mal à cause précisément d’une gestion scandaleuse, scabreuse
soutenue par une politique de gesticulations et de clientélisme abêtissant. Au
lieu du changement, de l’émergence ou de la refondation, dont on a saoulé la
population depuis 2006, on assiste à la démolition effrénée de notre pays pan
par pan par une machine répressive et gloutonne animée par une espèce rare mais
pas en voie d’extinction de prédateurs, qu’aucun sacrifice expiatoire ne peut
dédouaner. Il ne suffit plus de ruminer silencieusement et isolément ses
propres chagrins en attendant une hypothétique alternance qui s’est toujours
révélée comme une cérémonie festive des corrompus pour continuer la bêtise humaine
contre l’intelligence et le bien-être collectif. Avions-nous vraiment vaincu la
fatalité ? Il faut aujourd’hui, pour espérer voir fleurir l’espoir et la
fierté nationale, travailler ardemment à une alternative porteuse des éléments
de satisfaction des besoins fondamentaux, de culture élevée et de progrès
social. Il s’agit d’opérer une rupture d’avec les errements et les perditions
du présent en nous basant sur les expériences positives des luttes des peuples
et de la jeunesse. C’est une question de responsabilité vis-à-vis du Bénin, vis-à-vis
des générations auxquelles nous devons préparer et léguer un espace vivable,
viable et épanouissant.
Il nous faut construire
et mettre en marche une nouvelle vision et un nouveau corps de pratique
politique, sociale et culturelle. Or pour élaborer, construire et mettre en
marche une telle vision d’avenir meilleur pour le Bénin, il faut d’abord oser
refuser l’état actuel des choses, fait de chômage, de pillage, de matraquage
médiatique, de harcèlement fiscal, de torture morale, d’arrestations
arbitraires, de tripatouillages, de corruption, de népotisme à peine voilé et de théâtralisation de
la vie sociopolitique.
4°) Le devoir de
s’indigner.
L’indignation contre l’horreur et la pourriture est le premier pas dans la voie
du salut. Thomas SANKARA avait absolument raison, lorsqu’il affirmait qu’il n’y
a pas de raison à avoir pitié de l’esclave qui ne se révolte pas contre sa
condition. Il a fallu que des hommes et des femmes s’indignent contre
l’esclavage pour qu’il y ait la proclamation des droits de l’homme ; il a
fallu que des hommes et des femmes s’indignent contre la colonisation pour
qu’il y ait la décolonisation. Il a fallu que des hommes et des femmes
s’indignent conte l’autocratie pour qu’il y ait la démocratie.
Il a fallu que des hommes
et des femmes s’indignent contre l’exclusion de Yayi Boni en 2005 pour qu’il
soit candidat et élu président de la république en 2006.
En somme, la
déliquescence de la situation nationale, exige une clairvoyance de tous les instants
pour éviter de tomber dans les amalgames faciles et les pièges savamment posés
par les tenants d’un régime pervers.
II - Des défis exigeants. Une bonne lecture
de la situation appelle que l’on sonne la mobilisation pour relever un double défi. En premier lieu, il
faut éviter de tomber dans le piège de l’exacerbation des passions identitaires
et régionalistes. En second lieu, il faut administrer une résistance collective
aux manœuvres de diversion en cours pour distraire le peuple et le détourner des
préoccupations qui l’assaillent au quotidien du fait de la mal gouvernance
ambiante.
1°) En premier
lieu : Eviter le piège du régionalisme.
Le temps est venu de lever les tabous qui entourent la question du régionalisme
au Bénin. Il n’existe en réalité aucune fracture nord sud au Bénin, mais plutôt
un plan mis en œuvre par un lobby de profiteurs pour opposer les Béninois d’une
région à une autre. La fraude grossièrement organisée dans le dernier concours
de recrutement au profit du ministère des finances, révèle moins une
manifestation d’un régionalise insidieux que la manifestation d’un népotisme
primaire orchestré au profit d’amis, copains et coquins et non au profit du
Nord Bénin ni du Sud Bénin. Il faut
éviter une mauvaise lecture de ce phénomène à travers des globalisations
faciles pour ne pas tomber dans le piège des cerveaux de la manœuvre dont
l’objectif principal est de pousser les populations du sud Bénin à la
stigmatisation de leurs frères du nord du pays pour les amener à un repli
identitaire que l’on utilisera honteusement pour conserver le pouvoir. Le débat
télévisé avec le président de la république le 02 août 2012 ; les
politiques de nomination ou de sanction à double vitesse où certains cadres
sont limogés et informés par bandes défilantes sur les chaines de télévision
pour des peccadilles ou même renvoyés devant la haute cour de justice, alors
que d’autres sont protégés malgré la flagrance de leurs fautes, participent
aussi de cette politique. Surfer sur la fibre ethnique et régionaliste pour
sonner la trompette du rassemblement des ‘’frères’’ par l’activation des peurs
et des émotions est une stratégie surannée qui a suffisamment fait de mal au
pays pour être perpétuée. Il convient donc de lutter contre ce mal qui participe plus d’une stratégie de
conservation du pouvoir que d’une volonté de favoriser et de développer sa
région d’appartenance.
2°) En second lieu :
Résister aux manœuvres de diversion. L’inflation des
affaires ces derniers temps, (empoisonnement, offense au chef de l’Etat,
tentative de coup d’Etat etc..) et la fameuse lutte contre la corruption qui se
caractérise par le vote à l’assemblée
nationale de la poursuite d’anciens ministres à la haute cour de justice et
tout le tintamarre qui est fait autour, loin de faire croire à une réelle
volonté de promouvoir la vertu, relève d’une stratégie bien pensée de diversion
pour détourner le peuple des préoccupations essentielles nationales et urgentes
que sont la LEPI, la mauvaise gestion économique, l’échec tonitruant de la dernière
campagne cotonnière, le chômage accentué des jeunes à qui l’on promet des
ballons de football pour apaiser leur faim et leur besoin de travailler. Le
Bénin, bon dernier au plan économique dans l’UEMOA en 2012, et dernier dans
l’accès à l’Internet (182ème sur 182 pays classement OOKLA 2013), et
ce, malgré l’avènement de la fibre optique présentée comme la bouée de
sauvetage dans ce domaine, évolue d’échec en échec. La stratégie en cours est
de détourner et fixer l’attention des citoyens sur des dossiers fabriqués de
toutes pièces pour éviter des réactions certes légitimes, mais incontrôlées. Mais
plus que le détournement des attentions, c’est une stratégie qui vise, in fine,
à prédisposer les esprits à des grâces et amnisties générales voire aux autoamnisties
comme porte de sortie.
Ce qui fonde nos espoirs,
c’est l’assurance que les Béninois ne se reconnaissent point dans cette
dictature dite du développement qui a fait de nous le dernier de la sous-région.
En conclusion : Il
faut encore espérer ! Dans un tel contexte,
avec de tels enjeux, face à de tels défis, à relever sans délai, la
construction de l’espérance devient une nécessité vitale. Or, il est possible,
en dépit des turbulences politiques d’offrir à ce pays la chance de la
résurrection. La ruine de l’intelligence et du patriotisme ne saisit pas
encore, fort heureusement, tous les citoyens. Ils sont même nombreux à attendre
que sonne la cloche du ralliement en vue de la concrétisation de cette
espérance. Il faut, dès à présent, transformer les familles en cénacle de
construction et de l’avenir et de l’espérance. Les vagues actuelles ne doivent
point nous divertir de cet objectif primordial. Il faut bien que les forces
positives agissent, certes, en vue de l’endiguement du déclin mais surtout en
vue de la préparation de la remontée. Les différentes initiatives doivent se
coaliser, discuter sur le sujet, c’est-à-dire le Bénin ; échanger sur la
finalité, c’est-à-dire les conditions et les modalités d’une remontée sans
jamais régresser. Choisissons
de remettre le citoyen,
l’éthique et le respect des institutions au cœur de l’action politique.
Il faut que se construise, en vue de cette action politique, une alternative
citoyenne crédible.
Préparons demain dès aujourd’hui.
Avec tous, partout, pour tous sans
discrimination aucune !
Car, demain, c’est déjà aujourd’hui.
Agissons !
Fait à Cotonou, le 6 mars 2013
Pour la dynamique « Alternative
citoyenne »,
Ont
signé :
Orden
Alladatin
Urbain Amégbédji
Urbain Amégbédji
Joel Atayi-Guédégbé
Zakari Sambaou
Séraphin Agbahoungbata
Séraphin Agbahoungbata
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