jeudi 15 mars 2012

"...POUR UNE FOIS QUE DES AFRICAINS LISENT..."

Lettre ouverte à Madame
Marceau Jacqueline BOTTON

Madame,



Je suis Isidore DOKPA, béninois et comédien dans le spectacle 'Les nègres" de Jean GENET, une mise en scène de Emmanuel DAUMAS, joué les 13 et 14 mars au théâtre de Villefranche.
Le lundi 12, vous nous avez croisés fortuitement non loin de la caserne du Bénin à Villefranche, près de l'hôtel Kyriad où toute l'équipe du spectacle logeait.
Je rappelle qu'à l’occasion, je me trouvais avec messieurs Joël LOKOSSOU et Alfred FADONOUGBO, compatriotes à moi et partenaires de scène dans le spectacle sus indiqué. Vous nous avez alors invité avec grand enthousiasme et beaucoup de chaleur au vernissage des œuvres des sieurs Simplice AHOUANSOU et Joël DOSSOU, tous deux béninois, exposés dans le cadre de la dixième quinzaine du Bénin à Villefranche.
Une fois sur les lieux, mes compatriotes et moi avons mesuré la valeur et l'immensité du travail que vous et votre association avez abattu à Kandi, ville du nord du Bénin, jumelée avec Villefranche, depuis dix ans. C'est le lieu pour moi de vous dire un sincère merci malgré tout. Un vrai merci pour tous ces efforts sans cesse renouvelés, jour après jour, année après année.
En dix ans, que « d'appui à la scolarisation: équipements pour les C.E.S ou EP: livres, ordinateurs, calculettes, dictionnaires, matériel de labo, droits d'inscription d'élèves nécessiteux, aide au logement d'adolescents n'ayant pas de famille à Kandi, parrainages d'élèves..
En dix ans, que de soutiens aux activités des femmes, adolescents et enfants.
En dix ans, que de soutiens et échanges avec l'hôpital de Kandi en lien avec l’association Solidarité Hospitalière de villefranche.
En dix ans, que d’organisation de voyage annuel pour contacts humains, suivi des actions... ».bref, la liste est longue.
C'est au beau milieu de ce tableau reluisant et très flatteur, je l'avoue, que lorsque mon compatriote Joël LOKOSSOU a sorti de son sac à main un livre, vous nous avez assommé sans sommation. Assommé. C’est le bon mot.
En effet, madame, juste à la vue du livre, vous vous êtes exclamée ! "Pour une fois que des africains lisent..."
Nous avons reçu la phrase tel un coup de massue sur le crâne. Elle a fait l’effet d’un bruit de tremblement de terre dans nos têtes et oreilles respectives. Si Alfred a pu dire à haute voix: "vous avez entendu les mêmes choses que moi?" avant de quitter la discussion, c'est tête baissée que Joël a rebroussé chemin, tétanisé par la violence du propos, son caractère méprisant et tout ce que cela englobe d’humiliation. Qu'il vous souvienne que je suis resté un peu plus, et nos discussions se sont étendues sur ce que vous appelez « la faiblesse des africains » : la lecture.
Je ne voudrais pas vous accuser madame. Je ne voudrais pas vous accuser ni vous injurier. Car si avec tout ce que votre association dit avoir fait au Bénin, vous vous en êtes encore à croire que "les africains ne lisent pas", vous auriez donc inutilement perdu du temps et gaspillé l'argent du contribuable français depuis dix ans.
Votre réflexion sur les africains en présence d’africains témoigne que vous vous croyez encore au temps où l’on « chassait allègrement le nègre et l’antilope ». Cela dit, vous n’avez commis aucun crime madame BOTTON. J’ai déjà entendu dire dans ce pays -la France- que : « …toutes les civilisations ne se valent pas… » ; et il ne s’est trouvé aucun juge pour interpeller l’auteur de propos aussi dangereux que racistes. Pire, le plus « éminent » de tous les fils de ce pays à l’heure où nous émettons, disait devant les caméras du monde a Dakar : « …l’Homme africain n’est pas entré dans l’histoire… ». Là non plus madame, il ne s’est trouvé aucun tribunal dans ce pays dit "des droits de l’homme" pour rappeler l’individu en question à l’ordre ; de même, il ne s’est trouvé aucun psychiatre pour vérifier si l’homme est en possession de toutes ses facultés mentales. Vous convenez avec moi que votre cas n’est pas des plus dangereux mais simplement le plus triste. Car il va s’en dire que vous reniez votre propre combat. Combat que nul ne vous a imposé. La cause pour laquelle vous vous battez depuis dix ans, vous la reniez, la rejetez en une phrase. En une seconde. Je ne sais si vous avez investi autant d’énergie, autant d’argent et autant de « foi » pour ne rien obtenir à la fin comme résultat. Mais sait-on jamais, c’est peut-être dans ce rien pour les africains et pour l’Afrique que se trouvent votre plaisir et votre distraction ! Mais rassurez-vous, il en faudra plus pour faire croire que l’Afrique n’a jamais existé ou que les africains n’ont rien apporté à l’humanité. Car quel peuple plus que nous a « connu la déportation, la traite, l’esclavage, le collectif ravalement à la bête, le total outrage, la vaste insulte…Nous seuls, Madame, vous m’entendez, nous seuls, les nègres ! »
Alors, si malgré tout ça, si malgré cette somme d’humiliation totale « l’Homme africain n’est pas entré dans l’histoire » ; si malgré les multiples travaux des chercheurs Cheikh Anta Diop ; Amandou Hampaté Bah…, si malgré les récentes découvertes du chercheur Valentin AGON, celles de docteur FAGLA, si malgré les nombreuses publications des professeurs Honorat AGUESSY, Joseph KI-ZERBO, Albert TEVOEDJRE et bien d’autres, vous en êtes encore à : « … Pour une fois des africains qui lisent… » ! Alors madame, quelque que soit le temps qu'on aura mis, on ne redressera point les reins tordus. Car dit-on « Le séjour dans l’eau ne transformera pas le tronc d’arbre en crocodile ». Le tronc d’arbre restera le tronc d’arbre et le crocodile, le crocodile. Tout est fait et toutes les dispositions sont prises pour que l’Homme noir, l’homme africain, quelque soit son profil, ses compétences, ne soit jamais valorisé.
Mais le masque finit toujours par tomber et l’on découvre visage du porteur.
Pour ma part, je viens de vous découvrir.
J’ai eu vent de vos espèces d’excuses : l’humour ! il a bon dos ! C’est au nom de l’humour me dira-t-on un jour, que l’Afrique a connu la traite, la déportation… ? C’est très facile de trouver les excuses.
Voyez-vous madame, vos propos sont mineurs en comparaison de ceux de vos « illustres » prédécesseurs en la matière. Ils sont très insignifiants en comparaison des drames et tragédies du passé.
Je me dois ce pendant d’être honnête, chère madame ! Vous avez parlé beaucoup plus par ignorance, par inculture que par toute autre volonté de nuire ! Vous ne connaissez pas d’Afrique ni d’africains.
Voilà pourquoi je vous conseille de chercher à connaitre l'Afrique et les africains, au lieu de traîner ces préjugés et ces clichés grotesques, constipants et peu honorables pour leurs colporteurs, aussi.

Cordialement et très aimablement vôtre,

Isidore DOKPA

E-Mail :
isdedokp@yahoo.fr
BP : 416 Cotonou- Bénin
Page web :www. isidoredokpa.blogspot.com
Villefranche, ce 14 mars 2012


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