Le débat est déjà biaisé par Yayi Boni et ses ministres. On a même l’impression que le président de la République ne comprend rien de la décision du tribunal arbitral. Face aux jeunes, le président lisait un mémoire, sans doute rédigé par le ministre de la Justice qui lui-même ne connaît rien en la matière. Finalement, nous sommes en présence d’autorités qui ignorent tout du sujet dont elles discutent.
L’Etat peut ne pas payer les 160 milliards…
Reprenons ici ce que chacun d’eux a dit au cours de la semaine. Lisez attentivement leurs propos car, cela témoigne soit de la méconnaissance du dispositif de sentence, soit alors, plus grave encore, d’une entreprise de manipulation.
Djènontin-la-honte : « … Nous rassurons le peuple que le Trésor public n’aura pas à débourser un franc pour payer un quelconque dédommagement à qui que ce soit dans ce dossier… L’Etat béninois n’aura à payer quoi que ce soit… ».
Marcel de Souza : « …Le Bénin ne payera rien, pas un seul franc. Aucun franc ne sortira des caisses de l’Etat… ».
Yayi Boni : « …Mon pardon est total mais pas au point de prendre les ressources des Béninois, les fonds publics et les gérer n’importe comment…non. Pas à ce point. Le pardon n’est pas allé à ce point. Entendons nous bien…si j’ai 160 milliards aujourd’hui, je préfère mettre ça à votre disposition vous les jeunes ».
Quand on lit ces déclarations, on est porté à croire ceci : L’Etat béninois a été condamné à payer 160 milliards à la société « Benin Control S.a ». Ce qui est très faux. Le Bénin n’a pas été condamné à payer d’office 160 milliards à « Benin Control S.a ». Car l’Etat béninois a une alternative :
ou, l’Etat ordonne à « Benin Control S.a » de reprendre ses activités, c’est-à-dire le Pvi ; le cas échéant, l’Etat ne paie rien du tout. D’ailleurs, c’est la voie de la sagesse si vraiment Yayi Boni était un homme de paix et si son supposé pardon venait du fond du cœur. Dans ce cas, « Bénin Control S.a » reprend le Pvi et tout le monde est quitte. Le tribunal a donné deux mois à l’Etat béninois pour se décider.
Ou alors, l’Etat ne rétablit pas « Benin Control S.a » dans ses droits, et dans le cas contraire, il devra verser 160 milliards à « Bénin Control S.a ». Ce qui sera suicidaire pour l’Economie nationale. (Voir dispositif de la Ccja en encadré).
Comme vous l’avez compris, c’est l’un ou l’autre cas. Pas les deux à la foi.
Mais, l’on ne sait pourquoi, les dirigeants du Bénin ont choisi d’intoxiquer la population en invoquant seulement l’autre cas de figure, c’est-à-dire les 160 milliards à payer, en omettant de dire qu’ils ont le choix de ne pas payer en rétablissant « Benin Control S.a » dans ses droits. La dernière décision revient donc à Yayi Boni. S’il le veut, l’Etat ne payera rien à « Benin Control S.a » ; ou alors, il peut choisir la voie des ténèbres en payant 160 milliards.
D’ailleurs, le président Yayi Boni doit cesser de personnaliser le débat. Patrice Talon n’est pas « Benin Control S.a ». « Benin Control S.a » est une société de droit béninois. C’est une société anonyme et Patrice Talon n’est pas le seul actionnaire. Dire : « On nous dit au Bénin de payer 160 milliards F Cfa à un compatriote » n’est pas digne du premier des Béninois. Il personnalise le débat ce qui laisse supposer que son pardon est du bout des lèvres.
Il s’agit bel et bien d’une décision de l’Ohada
« Ce dossier n’est pas une décision de l’Ohada. L’Ohada n’est pas informée… L’Ohada aujourd’hui certainement n’est pas informée. Dites à vos amis et jeunes de la presse de faire des recherches, d’être des journalistes d’investigation pour comprendre exactement comment les choses fonctionnent. Lorsqu’il y a une situation comme cela, la première des choses, c’est d’aller chercher, appeler les gens pour savoir comment cela fonctionne. A moins qu’on soit en mission commandée…. » Yayi Boni.
C’est quand même étonnant qu’en voulant donner des leçons de morale aux journalistes, que Yayi Boni se soit pris à son propre piège. Si bien qu’on se demande entre Yayi Boni et les journalistes, qui est vraiment en mission commandée. Descartes devra modifier son assertion selon laquelle « Le bon sens est la chose la mieux partagée ». Car, au Bénin, le bon sens semble être la chose moins partagée.
La décision de la Ccja a été notifiée à l’agent judiciaire du trésor par exploit d’huissier. Le bon sens aurait voulait qu’on interroge l’Ajt sur la provenance du document. Elle est magistrate de carrière.
Lorsqu’on reçoit un tel document, le bon sens aurait voulu qu’on jette un coup d’œil sur la page de garde. Et qu’est ce qu’on y découvre ? C’est écrit en caractère d’imprimerie : « COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA) DE L’OHADA ». Même un aveugle devrait pouvoir le lire. Ensuite le dossier a un numéro : 004/2013AR13du 07 mai 2013. Le bon sens nous a guidés nous autres, journalistes à appeler Abidjan pour demander à quel dossier est rattaché ce numéro. On nous a bonnement répondu « La société Benin Control S.a contre Etat du Bénin. Enfin, le tribunal n’est pas composé de personnes fictives. Le bon sens nous a également poussés à demander qui est Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly. Pour faire plus simple, le président de la République gagnera à faire un tour sur le Net. Bref.
La décision émane bel et bien de l’Ohada, ou plus précisément de sa Cour commune de justice et d’arbitrage (Ccja). Un président de la République a tous les moyens, humains et matériels, pour vérifier une information. Le Bénin a un Ambassadeur en Côte d’Ivoire. Le Bénin a un Consul là-bas. Alors qui est en mission commandée ? Ici, la mission s’avère être la chasse aux opérateurs économiques du Bénin.
Le Bénin connaît le dossier et a participé à la procédure…
« … Et il va à l’arbitrage de l’Ohada. Et là-bas, si vous avez des problèmes et quand vous allez là-bas, chacun choisit son arbitre et l’affaire est gérée. Tel n’est pas le cas. Le Bénin n’a choisi personne. Le Bénin n’a jamais été écouté. Il est allé là-bas. On sait dans quelles conditions ça se fait. Et puis, c’est des juges privés. Il a pris ses juges privés. Il semble qu’on nous a trouvé des juges privés. C’est bizarre. On nous a trouvé des juges privés qui ont parlé en notre nom et qui, semble-t-il, devaient nous défendre sur un dossier qu’on ne connaît même pas…. La Cour n’a même pas encore été saisie de ce dossier… Ce que le ministre a voulu dire, je crois, ce tribunal arbitral constitué à leur manière, a statué sans convention d’arbitrage. On devrait s’entendre pour y aller mais on ne s’est pas vu. Voici un vice de ce jugement-là. Et je dis que c’est un jugement qui a été fait par les juges privés que le Bénin ne connaît pas… » Boni Yayi.
L’on sait déjà que le président n’a pas de ministre de Justice. Un administrateur des hôpitaux ne peut être ministre de la Justice. Mais le président n’a-t-il pas un conseiller juridique ? On sait qu’il a un Agent judiciaire du Trésor (Ajt). Une dame très compétente. Mais alors, a-t-il demandé son avis ? Nous sommes la risée de toute l’Afrique actuellement. Comment un président de la République, président en exercice de l’Uemoa, ancien président en exercice de l’Ua, ancien président de la Boad, peut-il penser que l’Ohada travaille avec des juges privés ? Qu’appelle-t-il d’ailleurs juge privé ?
Comment peut-il dire que la Cour d’arbitrage n’a pas encore été saisie alors que le Bénin a fait parvenir les moyens par lesquels il entend débouter « Benin Control S.a » ? Qui a écrit ces moyens et qui les a envoyés à Abidjan ? (Voir encadré ci-dessous).
De même, dire que le « Bénin n’a jamais été écouté », c’est faire preuve de mauvaise foi. A l’avant dernier alinéa de la sentence, on peut lire : « cependant, l’Etat du Bénin, qui par lettres en date des 16 juillet, 16 août, et 6 septembre 2013, a transmis à la Ccja, ses réponses à la demande d’arbitrage et produit des moyens de fond et de forme, tout en s’abstenant de désigner un arbitre, n’a pas soulevé d’objection concernant les arbitres désignés et nommés, ni aucune observation sur la compétence et la régularité du tribunal arbitral ». Comment peut-on prétendre dans ce cas n’avoir jamais été écouté ?
Quand le président Yayi Boni dit : « quand vous allez là-bas, chacun choisit son arbitre et l’affaire est gérée. Tel n’est pas le cas. Le Bénin n’a choisi personne ». Evidemment que le Bénin ne peut choisir personne car, ce même Bénin conteste la compétence de la Cour d’arbitrage. D’ailleurs, le point 42 de la sentence dit : « ...l’Etat du Bénin qui conteste l’arbitrabilité du litige ne peut en conséquence choisir un ou des arbitres ni le siège et la langue de l’arbitrage ». C’est le bon sens dont parle Descartes. Dire que le Bénin n’a choisi personne est un non sens.
Le gouvernement a voulu jouer comme d’habitude. Le gouvernement a voulu faire du dilatoire comme d’habitude. Le gouvernement a voulu tricher comme d’habitude. Le gouvernement a voulu tuer un homme d’affaires comme d’habitude. Mais cette foi-ci, il a été pris dans son propre piège et se débat comme un diable de Tasmanie à qui l’on est en train d’arracher une proie.
Charles Toko
source: le quotidien "Le matinal" du mai
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