Création et diffusion théâtrale au Bénin : autopsie d’une agonie culturelle.
La situation du théâtre au Bénin devient avec le temps préoccupant sur tous les plans.
Dans les années soixante, les élèves et autres apprenants Dahoméens de l’école William Ponty au Sénégal s’étaient aussi illustrés par leurs capacités artistiques et culturelles aussi bien dans le domaine du théâtre que celui de la danse. Le théâtre de notre pays en ces moments là était un théâtre fort du point de vu de sa conception et de son originalité quand bien même il manquait d’infrastructures, de formations et d’appui financier majeur. Le colonisateur avait travaillé à la dynamisation d’une expression culturelle et artistique même si cette dynamisation reste toujours orientée et exclu quelque peu nos cultures traditionnelles que sont les danses et autres rites sacrés.
LA REVOLUTION DE 1972 OU LE REVEIL CULTUREL DU BENIN
Avec l’avènement de la révolution populaire en 1972, les arts et la culture ont connu une popularisation avec le programme d’enseignement dit « Ecole nouvelle » basé entre autre sur l’obligation à chaque élève béninois d’appartenir à une discipline artistique et culturelle de son choix dans son école…. Jusque dans les années quatre vingt, les arts de la scène, notamment le théâtre, la musique et la danse ont connu une très large promotion et un soutien ferme du pouvoir en place. Chaque département avait son festival de théâtre, de la danse et de la musique scolaire tout comme toutes les fins d’année, les groupes artistiques de chaque école se produisait publiquement. Pour accompagner le phénomène, le pouvoir révolutionnaire avait créé dans les villes et campagnes du Bénin des centres d’accueil de spectacle dénommé « maison de jeunes et de la culture » tout comme il faisait construire dans les établissements scolaires des théâtres ou des salles de fête. Dans les grandes villes comme Cotonou, il y a eu la construction des lieux de spectacles comme « le hall des arts et sports », « le palais des sports » qui ne répondent plus aujourd’hui aux normes professionnelles mais qui ont une certaine surface.
Désormais, les arts et la culture sont une réalité en milieu scolaire qui influe sur toutes les créations artistiques et culturelles au plan national. La plupart des compagnies et troupes de théâtre recrutent leur personnel artistique dans cette pépinière. Chaque année, des dizaines et des dizaines de représentations théâtrales ont lieu à travers tout le pays aussi bien en milieu scolaire que dans les centres de jeunes. Les populations avaient accès aux loisirs saints et avaient aussi la possibilité de choisir.
Cette concentration d’activité culturelle en milieu scolaire a commencé par créer des vocations. C’est ainsi que de très grandes stars de la musique béninoise sont issues de ces moments là. On peut citer entre autre, Angélique KIDJO, Stanislas TOHON, Isbath MADOU…
PAS DE REVOLUTION MARXISTE PAS DE CULTURE POPULAIRE.
Avec l’essoufflement de la révolution marxiste vers la fin des années quatre-vingt et la tenue au Bénin de l’historique conférence des forces vives de la nation de février 1990, les activités culturelles ont peu à peu quitté le laboratoire scolaire.
En effet, le Bénin de l’après conférence ne voulait reconquérir que son passé de « Dahomey, quartier latin de l’Afrique ». Et pour y parvenir, il fallait mettre tous les obstacles de côté, y compris les arts et la culture, perçus par les nouveaux démocrates comme étant un frein au progrès et au développement du pays nouveau. Il fallait que les élèves et les étudiants consacrent plus de temps au papier, aux connaissances livresques. La révolution n’aurait fait que du tord au pays ; elle n’aurait fait que reculer le pays et sur tous les plans. Du moins c’était la formule consacrée pour enterrer et la révolution et ses « acquis ».
Ainsi les professeurs, prétextant les surcharges de feuilles à corriger se sont rapidement désengagé des activités parascolaires. Progressivement, elles sont devenues facultatives dans des écoles avant d’être carrément interdites dans certaines autres où les chefs d’établissement les assimilent soit à des sources de perversion et de débauche pour les apprenants, soit des sources de mauvais résultats scolaires. Les plus malins prétextent des difficultés de trésorerie.
Désormais, les arts de la scène ne sont plus les bienvenus dans l’arène scolaire. Les élèves désireux de s’adonner aux activités culturelles ne pourront le faire qu’en dehors du cadre scolaire. Des élèves passionnés se sont vus renvoyé de leur établissement pour y avoir initié des activités culturelles au grand mécontentement de l’administration.
Jusqu’à présent, ce désengagement politique et administratif brutal est encore perçu par nombre de béninois comme un des faux pas de cette fameuse conférence nationale où des hommes et des femmes, lassés d’un système politique n’ont pas su en garder les acquis.
Cette effervescence culturelle et artistique longtemps répandue dans le pays par les révolutionnaires restera le terreau nourricier du théâtre béninois des années quatre-vingt-dix à deux milles.
Cette époque a été caractérisée par la floraison et le dynamisme des compagnies théâtrales sur le terrain. Tous les élèves qui ne pouvaient s’exprimer culturellement et artistiquement dans les écoles ont prit d’assaut les compagnies et troupes de théâtres civiles pour faire valoir leurs talents. Même si la quantité des créations a baissé par rapport à l’époque révolutionnaire, la qualité et l’imagination sont demeurées.
Avec l’installation à Cotonou de la structure franco-africaine de remise à niveau des artistes dénommée « Africréation », la qualité et la quantité des productions théâtrales ont connu une nette amélioration et ont été très compétitives sur les festivals à l’étranger.
Le Bénin culturel devenait de plus en plus présent à nouveau sur la chaine continentale et internationale.
Les services techniques du ministère de la culture accompagnant des initiatives privées sont parvenus à donner quelques coups de pouce à la création et à l’enracinement de certains cadres de réflexions et d’actions culturelles comme le FITHEB (Festival International de Théâtre du Bénin) créé par Messieurs Tola KOUKOUI directeur du théâtre KAÏDARA, Antoine DADELE directeur de la promotion des arts et de la culture et Yves BOURGUIGNON directeur du centre culturel Français de Cotonou. Il est aujourd’hui le patrimoine de l’Etat béninois qui contribue à 95% au budget de la biennal et fournit entièrement son budget de fonctionnement annuel. Le FITHEB reste à ce jour le plus grand festival théâtral de l’Afrique francophone de par son budget, son organisation, sa programmation, son déroulement et le cachet payé aux compagnies invitées.
Au titre des événements majeurs nés dans les années 1990, il y a aussi le festival de théâtre scolaire « KALETAS » initié et organisé par l’atelier de recherche et de promotion artistique « ORISHA ». Depuis 1996, il regroupe tous les ans près de 200 à 250 élèves, lycéens et étudiants durant une semaine dans chaque département du pays. Paradoxalement, ce festival ne bénéficie pas encore d’un appui conséquent des pouvoirs publics.
LES RUINES DE L’HERITAGE CULTUREL DE LA REVOLUTION.
Le non renouvellement et de réfection des infrastructures, la suppression totale des activités culturelles en milieu scolaire, l’absence de proposition culturelle alternative sont venues sonné la fin du rêve de l’émergence culturelle du pays. Les centres de jeunes créés à grands frais dans toutes les communes du pays sont abandonnés faute d’activités. Ils sont aujourd’hui le dortoir des malfrats et des chauves souris. Ceux qui sont encore fonctionnels sont transformés en lieux de culte pour les vendeurs de dieu. Nos municipalités souffrent d’une absence cruelle de lieux de loisir et de divertissement pour les jeunes et pour toute la population. Pourtant la décentralisation est devenue une réalité au Bénin depuis plus de cinq ans et toutes les municipalités, à en croire leur chef, ont une ligne budgétaire consacrée à l’action la culture.
Sans l’implication réelle des communes à travers l’aménagement, la construction des lieux culturels et l’appui aux associations culturelles, les activités culturelles qui constituent les loisirs pour les populations à la base ne les atteindront jamais.
Un Homme sans loisir est un Homme stressé, violent et donc dangereux. L’absence de tout loisir conduit aux pires des vis que sont l’alcoolisme, le tabagisme et la prostitution chroniques.
Les compagnies de théâtre jadis très dynamiques et opérationnelles sont réduites au silence faute de subvention et de facilitation dans le processus de création. Nombreuses sont celles qui sont aujourd’hui transformées en structures de production audio visuelle, ou de micro-finance, parce que c’est ce qui « marche » pour l’instant.
Des comédiens, des metteurs en scène, des décorateurs et autres costumiers désireux de faire carrière dans le théâtre, faute d’occupation sont devenus des enseignants vacataires, des démarcheurs de vente de parcelles, de voitures ou de location de maison… d’autres ont investi le port autonome de Cotonou où ils sont employés comme dockers et d’autres encore tombés sous le coup de l’alcoolisme et du tabagisme.
On peut encore citer au titre des ruines culturelles d'aujourd'hui, la salle de cinéma du vog, jadis fleuron du cinéma béninois.
Ce haut lieu de l'histoire cinématographique béninoise est tombée en désuétude totale quand il a dû être attribué au théâtre pour abriter la direction du FITHEB.
Depuis près de 10 ans, la plus grande salle de ce bâtiment qui a longtemps servi de théâtre aux créateurs de cet art est fermé et inaccessible pour cause de travaux de réfections. Des travaux qui ne bougent pas et qui engloutissent des milliards du contribuable béninois chaque année. Et jusque là aucun cabinet ministériel de tous ceux qui ce sont succédés à la tête de la culture ne s'est vraiment soucié de la remise au goût du jour de ce théâtre. Chacun y est plutôt allé de son envie pressante et irrésistible de tirer le maximun de pourboirs et de pots de vin de l'entreprise à charge des travaux: conséquence, nous manquons de lieu d'expression pour notre théâtre et de lieu de loisir pour nos populations mais cela ne semble préoccupé personne.
Le théâtre béninois d’aujourd’hui est malade de l’absence de volonté politique et de vision culturelle des nouveaux démocrates qui sont venus aux affaires après la période de la révolution populaire...
Pourtant, avec l’avènement de l’actuel président de la République, Monsieur Yayi Boni, une bouffée d’oxygène a été jetée dans le secteur culturel : l’attribution au fonds d’aide à la culture d’un milliard culturel.
Malheureusement, la mauvaise gestion et l’incompétence notoire des administrateurs de ce fonds, le climat d’impunité créée aux proches du pouvoir ; les conditions scrabbleuses d’admission des projets et de l’attribution du fonds font que les artistes, les vrais, ceux qui créent de jours comme de nuits et qui refusent de faire allégeance à des fonctionnaires corrompus avant de bénéficier de ce financement publique sont écartés au profit de lampistes, des lèches cul et autres griots du pouvoir et des gérants dudit fonds.
Depuis l’avènement du milliard culturel, les associations d’artistes et les projets naissent à foison et ne durent que le temps de l’attribution de la subvention.
Aucun impact des projets financés n’est visible nulle part sur le terrain et nous sommes déjà à l’an deux de ce fonds.
On peut conclure sans exagérer que la génération actuelle d’Hommes de théâtre a hérité d’un théâtre sans formation, sans infrastructure, sans financement, sans vision et sans imagination. Un théâtre sans fondements juridiques. Ce qui fait que la professionnalisation de ce corps de métier demeure toujours un slogan vain.
Au demeurant, la culture reste un atout incontournable pour le développement de tout pays. Les grandes nations de ce monde comme les Etats-Unis d’Amérique, l’Union Européenne et bien d’autres le savent et s’emploient à étendre à tout moment les tentacules de leurs cultures à travers le monde. Le PIB que ces nations tirent de la promotion, de l’émergence et du développement de leurs cultures est largement au-dessus de celui généré aussi bien par la vente du tabac, de l’alcool que des armes.
Notre pays gagnerait à emprunter cette voie.